Le rara en Haïti pour réduire les distances
Quand le rara me réveille
Je rêvais encore de ma Belle quand le coq du voisinage m’annonça que le ciel était en plein accouchement du soleil. Ce n’était pas le cocorico majestueux et imposant d’antan qui faisait tomber des feuilles les gouttes de rosée, donnait la chair de poule aux poules, tirait brutalement les gens de leur sommeil et faisait se lever le soleil, mais plutôt une plainte presque silencieuse. Haïti va si mal que même l’animal le plus emblématique de sa culture n’arrive pas à répondre correctement à son devoir.
Ce petit cri ne m’encouragea guère à me réveiller, mais il fut suivi d’un aboiement de stentor qui me fit sursauter. Quelques minutes plus tard, ce qui n’était qu’un aboiement devint un concert canin. Mais qu’est ce qui peut bien pousser tous les chiens du quartier à s’exprimer en même temps ?
Intrigué, je me suis levé pour regarder par la fenêtre, j’aperçus alors au milieu de la rue un peu mal éclairée par les lampadaires du quartier, deux jeunes hommes faisant tourner à grande vitesse un bâton d’environ un mètre tout en le gardant en équilibre entre deux doigts. Ils s’exécutaient tout en dansant au rythme d’un tambour que j’entendais sans le voir. Je ne pus m’empêcher d’être attiré par leurs casquettes et tuniques aux couleurs très vives avec des paillettes scintillantes à la poitrine, et leurs foulards rouges. Je ne parvins toutefois pas à bien identifier leurs traits parce qu’ils avaient le visage maquillé et portaient de grosses lunettes noires.
Quelques mètres derrière eux se trouvait un homme grand et très musclé muni d’un long fouet qu’il frappait au sol de manière régulière et de façon brutale. Le fouet faisait à chaque fois de nombreux cercles dans l’air avant de s’abattre violemment sur le sol. Le son produit par le fouet entrant en contact avec le sol agaçait les chiens du quartier qui n’arrêtaient pas d’aboyer. L’homme fouettait la terre si fort qu’on pourrait croire qu’il voulait la punir de s’être mise à trembler il y’a sept ans sans raison tout en emportant bon nombre de nos sœurs et frères.
Ce type était suivi d’une foule en délire dansant et chantant des chansons exécutées par une dizaine de musiciens équipés de plus de cinq types d’instruments dont le tambour, le kata et les vaccines. Des femmes portant des vêtements très colorés étaient en train d’exécuter des danses traditionnelles haïtiennes. Je compris alors que j’avais affaire à une bande de rara et cela me rappela que nous étions en pleine période de carême.
La douce musique du rara me donna envie de les rejoindre mais le son du fouet, à chaque fois, me donna un froid dans le dos. Ce son me ramena en enfance et me rappela cette fois où j’avais été touché par le fouet d’une bande rara et que mon frère aîné m’avait fait croire qu’il ne me restait que trois jours à vivre. Depuis ce jour je pris la décision de toujours danser à distance.
La bande s’en alla trois quart d’heure plus tard et laissa place au tumulte quotidien de ma ville. Il est 6h du matin et Pétion Ville est déjà debout. On aurait dit qu’il n’ya que tôt le matin et tard le soir que la ville vit pleinement. En milieu de journée elle semble avoir honte de sa misère extrême, que quoique pudique, le soleil ne peut s’empêcher d’éclairer. 6h et déjà tout commence. Le soleil se tire des bras de la mer et Pétion Ville se réveille. Elle se tire de ses rêves contradictoires : elle rêve de la ville résidentielle qu’elle fut, ville jadis dite bourgeoise, ville d’en haut comme on dit chez nous, mais aussi rêve t’elle de la ville commerciale qu’elle est devenue depuis 2010, avec ses hôtels, ses magasins et ses supermarchés. Pétion ville commence à souffrir d’une surpopulation asphyxiante.
De ma fenêtre, j’observe pendant quelques minutes les écoliers somnolant encore un peu, sac au dos, le ventre vide pour la plupart, allant chercher le pain de l’instruction. Les adultes, affolés, se bousculant de peur d’arriver en retard au bureau. Les marchandes, panier sur la tête allant s’approvisionner en produits. Une nouvelle journée qui se réveille avec son propre soleil, sa propre histoire, et ses propres défis …
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