Si seulement je pouvais lui manquer
Chez moi, en Haïti, le dernier dimanche du mois de Mai est dédié aux mères et le dernier dimanche du mois de Juin, lui, est consacré aux pères. Donc demain dimanche 25 juin on célébrera la fête des pères chez moi. Les bons pères comme les mauvais.
Beaucoup de textes, de livres et chansons ont été écrits sur la question des pères qui abandonnent leurs enfants, dont la sublime chanson de Calogero « Si seulement je pouvais lui manquer. »
Ce n’est pas un texte de plus, ni un texte de moi, qui poussera les pères à respecter leurs responsabilités mais comme chaque année à l’approche de la fête des pères, je me suis gavé sans modération de la chanson de Calogero et cette année, au lieu de me morfondre, comme chaque année, j’ai décidé d’écrire afin de passer définitivement à autre chose.
« D’où vient ma vie ? Certainement pas du ciel. »
Depuis le jour où j’ai appris comment les enfants sont conçus je me pose des questions sur toi. Eh oui, je sais que je ne suis pas né par l’intervention du Saint Esprit.
J’ignore quel concours de circonstances a occasionné ma conception : quelques verres de trop, une erreur d’une nuit, une réconciliation passionnée, des retrouvailles torrides ou des pulsions difficiles à contrôler mais la seule chose que je sais c’est que je n’ai pas demandé à naître.
« Lui raconter mon enfance. Son absence. »
J’aurais tant de choses à te raconter. Mes premières fois. Mes échecs. Mes défaites. Mes succès. Mes doutes. Mes projets. Te dire les dégâts que ton absence a causés.
« A part ça, tout va bien. A part d’un père je ne manque de rien. / Manquer d’un père n’est pas un crime. »
Il y a des mots que je n’aurai jamais la chance de prononcer à cause de ton absence. Le mot « papa » par exemple. Il y a aussi des phrases que je n’entendrai jamais comme « je suis fier de toi, mon fils. »
Je n’ai pas eu droit à tes encouragements, tes félicitations, tes regards de fierté. J’ai aussi raté tes réprimandes, tes avertissements, tes interdictions, tes punitions.
Je n’ai pas cessé de me demander si j’étais la raison de ton départ. J’en suis arrivé à penser que si je n’étais pas entré en scène ma mère et toi seriez encore en train de roucouler d’amour. Je me suis longtemps senti coupable de votre rupture.
Sache que je n’ai pas attendu ton éventuel retour pour vivre ma vie. Je ne me suis pas apitoyé sur mon sort. Ton absence m’a servi de motivation pour avancer. Je me suis promis de faire en sorte que mon absence laisse un plus grand vide dans ta vie que ton absence dans la mienne. Aujourd’hui je suis satisfait du regard de fierté que me lance ma mère.
A part d’un père, je ne manque de rien.
« Si seulement je pouvais lui manquer. »
Je ne veux pas que tu penses que tu me manques. Comment une chose que je n’ai jamais connue pourrait-elle me manquer ? Tu ne m’as jamais manqué mais ton absence, je l’ai ressentie quelques fois. Chaque année à l’école, à chaque fois que je devais laisser vide l’espace réservé aux informations sur le père, je ressentais un pincement au cœur. J’en suis arrivé à envier mes camarades de classe dont les pères venaient aux réunions de parents d’élèves. A chaque fois qu’un père venait chercher un ami à moi je maudissais le ciel. Tu as raté mes échecs comme mes victoires. Pendant mes moments de doutes et de désespoir, tu étais absent. Tu n’as pas été mon conseiller, mon confident, mon roc, mon modèle.
Très souvent j’ai espéré te manquer mais jamais cela n’arriva on dirait.
En tout cas, tu m’auras appris ce que cela fait de vivre sans père et jamais je ne laisserai mes enfants vivre une telle expérience. Dis-toi au moins que tu m’auras appris à être un père digne de ce nom. Tout ce que tu n’auras jamais été.
PS : Je te donnerai envie d’être mon père un jour, mais ce sera trop tard pour toi.
Malgré tout cela, je sais qu’il existe de nombreux pères responsables. A tous ceux là, je leur souhaite une Joyeuse Fête des Pères.
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