Samara (Partie I)

Article : Samara (Partie I)
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21 octobre 2017

Samara (Partie I)

Eh merde ! C’est bien la troisième fois en moins de dix minutes que cette chaîne de télévision, très prisée des jeunes et moins jeunes, diffuse ce spot publicitaire vantant les mérites de cette florissante compagnie de tabac.

Même les messages du ministère de la santé publique informant les jeunes sur les risques des maladies sexuellement transmissibles, les risques de grossesses précoces et les précautions à prendre ne sont pas si fréquents à l’antenne.

Le jeune, inondé de messages pro-tabac, n’a même pas le loisir de choisir. On lui met presque la cigarette à la bouche. Le prix du produit est à sa portée. Malheureusement, on vit dans un pays où une cigarette coûte moins cher qu’un cahier ou un stylo. Le produit est parfois gratuit à des activités culturelles pour jeunes.

Ces « activités culturelles » sont des trains dans lesquels les jeunes montent à chaque fois qu’ils veulent quitter la gare des principes imposées par leurs parents. Beaucoup de jeunes y vont pour boire un coup avant d’aller en tirer un.

Et, comme pour se moquer du public, à la fin de chaque publicité, après qu’une voix pleine d’énergie ait fait l’éloge du produit, le présentant comme une solution à tous les problèmes de stress, une petite voix presque silencieuse lance cette phrase à laquelle les patrons de la compagnie souhaiteraient que personne ne prête attention : « fumer nuit gravement à la santé. » Ah bon ? Vous m’en direz tant.

Samara zappe une fois de plus, fatiguée de tomber à chaque fois sur ce spot alors que ce qui l’intéresse, ce sont les vidéos carnavalesques qu’elle se plait à regarder, à défaut de pouvoir se rendre à des activités pré carnavalesques.

Elle est dégoûtée de voir à quel point le tabac était si médiatisé. Ça a de quoi choquer une fille de 16 ans s’étant fait la promesse de vivre comme il faut, c’est à dire sans tabac ni alcool. Elle s’est promis de garder son prestige jusque dans la bière.

Promesses difficiles à tenir au sein d’une génération qui va à toute vitesse, et dans un pays où les mauvaises choses sont considérées comme la norme. Le fruit semble avoir meilleur goût quand il est défendu. A ce rythme, Haïti est en passe de devenir un grand bac à rats.

Est-ce pourquoi, ne voulant pas faire partie de la minorité d’exception, voulant être comme les autres, certains jeunes entrent dans la danse, sans savoir que « apre dans tanbou lou »1.

Difficile de garder son cap quand des vagues comme l’alcool, la drogue et le sexe nous mènent en haute mer.

Après s’être gavée sans modération de vidéos, elle a décidé de s’arrêter sur une station diffusant un film à peine sorti au cinéma américain.

 

A peine s’est-elle installée pour visionner le film, un frisson dans le dos provoqué par le langoureux baiser qu’elle voit l’acteur principal partager avec une blonde, que sur l’écran s’affiche « XXX scène adulte ».

Cette chaine de télévision prend plaisir à empêcher la délectation des scènes d’amour lors de ses diffusions mais ne bronche pas quand dans un film un homme arrache la tête d’un autre de sang froid. Ils nous vendent la violence et nous cachent l’amour.

Définitivement, tout s’unit pour la faire sortir de ses gonds. Sentant qu’elle allait perdre son self-control, elle se résigne à éteindre le téléviseur, mais à son grand étonnement, elle le vit s’éteindre tout seul. Pendant une fraction de seconde, elle a cru l’avoir éteint avec son subconscient, puis a compris rapidement ce qui venait de se passer : on vient de « prendre le kouran », comme on dit chez nous.

Elle ne s’étonne plus désormais de ces fréquentes et régulières coupures d’électricité auxquelles tous les haïtiens ont fini par s’habituer.

De nos jours, c’est l’inverse qui étonne : cinq heures successives d’électricité surprennent davantage qu’une tempête de neige en plein centre-ville.

Pas étonnant que l’on entende de si grandes explosions de joie « men kouran ! »2 ou « yo bay li ! »3 dans les quartiers populeux à chaque fois que l’ampoule de la maison passe du gris au jaune.

C’est à croire que le directeur de la compagnie Électricité d’Haïti est aussi actionnaire dans une quelconque entreprise d’allumettes et de bougies.

A suivre…

1  Après la danse les tambours sont lourds (après le plaisir la réalité est souvent dure).

2 et 3 Voilà l’électricité !

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