L’écriture pour thérapie

Article : L’écriture pour thérapie
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17 février 2019

L’écriture pour thérapie

Aussi loin que me ramènent mes souvenirs d’enfance, je me vois comme un enfant super loquace. Et les histoires racontées par mes parents le confirment, j’étais très curieux et très volubile. J’avais toujours quelque chose à demander ou une histoire à raconter. Mes interrogations incessantes agaçaient mes amis qui me mettaient tout le temps au défi de me taire pendant une minute. J’avoue que c’était difficile et les secondes me paraissaient durer des heures. Avec du recul, je reconnais que je parlais un peu trop, je parlais d’un peu de tout, mais pas de tout.

Il y a des sujets dont je ne parlais jamais, par gêne ou par tentative de déni.

 

Mon géniteur

Je n’ai jamais parlé de mon géniteur. Je n’ai fait allusion à lui dans aucune conversation durant mon enfance et mon adolescence. Au point que tous mes amis le croyaient mort. A une certaine période, moi aussi je l’ai cru mort, ou plutôt je l’espérais. Car cela aurait rendu plus facile l’explication de son absence.

Qu’on soit clair là-dessus, je n’étais pas gêné d’être un enfant sans père… ou plutôt que quelques fois.

Je me rappellerai toujours ce jour où des amis et moi étions en groupe en train de discuter de je ne sais plus trop quoi et est arrivé un adulte. Une personnalité connue chez nous et très respectée par mes amis et moi. Il a rejoint le groupe et sans introduction dit à l’un d’entre nous « C’est qui ton père ? Il fait quoi ? » Et un à un il s’est mis à nous questionner sur notre paternel. J’ai eu envie de disparaitre. Je n’arrêtais pas de me demander quelle réponse j’allais faire à son interrogation. Je me suis mis à trembler et brusquement j’ai eu des sueurs froides. « Et toi, c’est qui ton père » me demanda-t-il enfin. J’ai eu envie de faire simple et lui dire que mon père était mort, mais je n’avais pas envie de voir de la pitié dans leur regard et cela aurait été un sujet de discussion entre mes amis et moi. Mais d’un autre côté je n’allais certainement pas leur raconter que mon géniteur ne voulait pas de moi et est parti en laissant ma mère enceinte. J’étais trop fier et pudique pour m’ouvrir autant à eux. J’ai donc inventé une histoire. Cet exercice, j’ai eu à le faire à de nombreuses occasions dans ma vie et à chaque fois, l’histoire était inventée sur mesure. Ce jour-là, mon père était un grand avocat vivant à l’extérieur du pays.

A ce moment, j’ai ressenti moult émotions. J’ai eu de la pitié pour ce jeune garçon se sentant obligé d’inventer une histoire pour paraitre normal, j’en ai voulu à ce type de s’être intéressé à ma vie privée, je me suis détesté de ne pas avoir eu le courage de dire la vérité, et j’ai détesté mon géniteur de m’avoir mis dans cette situation.

Mais ce n’était ni la première ni la dernière fois que j’inventais des histoires pour expliquer l’absence de mon père.

Je ne dirais pas qu’il me manquait. Comment quelqu’un que je n’ai pas vraiment connu aurait-il pu me manquer ? Je ne dirais pas non plus que je ressentais tout le temps son absence. J’ai été comblé par ma famille, mais il y a des jours comme ça où des amis parlent avec fierté de leur paternel et je me rends compte que je n’ai rien à dire du mien, et ces jours-là, aussi rapide que je puisse être, la réalité me rattrape. Et cette réalité est dure.

 

Mon deuxième prénom

Je n’ai jamais non plus parlé de mon deuxième prénom, Christi. Ce prénom a pendant longtemps été un fardeau trop lourd pour mes fragiles épaules d’enfant puis d’adolescent.

Les moqueries de camarades de classes et même parfois de professeurs m’ont pendant de nombreuses années fait craindre les premiers jours de classe. Ce grand jour où je portais des uniformes neufs, de nouvelles chaussures, un nouveau sac rempli de livres venant directement de la librairie de l’école ; ce jour où j’étais impatient de revoir mes camarades et amis et leur raconter mes vacances devait normalement être un jour heureux, mais pour moi c’était à chaque fois un jour d’angoisse, parce que c’était aussi le jour où l’instituteur découvre le nom et les prénoms de ses élèves.

Mon nom de famille étant Nicolas, de grosses gouttes de sueur commençaient à perler sur mon front dès que le prof s’était rendu au niveau des noms de famille débutant par la lettre L. Je sentais alors ma fin proche.

Le nombre de fois où un prof a dû lire deux fois mon nom afin d’être sûr d’avoir bien dit Christi, le nombre de fois où l’un d’entres eux m’a demandé si c’était une faute de frappe ou une erreur à l’impression de la liste de présence. Parfois ils se sont même repris « Alexandro Christi Nicolas, Christian pardon. » A moi de dire, l’air gêné, la voix tremblotante « Non vous ne vous êtes pas trompé, c’est bien Christi. » Le pire c’était quand ils disaient « C’est qui Christi ? Montre-toi. » Comme s’ils voulaient voir si le prénom correspondait au physique.

Et mes camarades à chaque fois se lâchaient en rires et moqueries.

J’avais fini par développer une astuce au fil du temps. Je ne laissais plus le temps au prof de citer mon nom complet. Je répondais présent dès que j’entendais Alexandro. Cela me demandait bien sûr de connaitre à chaque fois le nom de celui qui venait juste avant moi sur la liste afin d’interrompre le prof dans son élan. Malheureusement, cette astuce ne fonctionnait pas à chaque fois et je devais souvent subir les moqueries.

« Ta mère s’attendait à avoir une fille et a refusé de changer le prénom même après avoir remarqué que tu étais un mec ou quoi ? » « Tes parents ont dû être déçus en découvrant que tu étais un mec. » Ce sont autant de vannes l’une aussi pourrie que l’autre qui me venaient de mes camarades de classe. Et cela a duré des années.

Ce prénom, je ne l’ai jamais accepté et je n’ai jamais su le porter. Rapidement, Christi est devenu un simple C sur tous mes documents au point où j’ai fini par oublier son orthographe. Même les explications de ma mère n’ont pas pu m’aider à accepter ce prénom de fille que je portais comme un poids dont je n’ai jamais voulu.

Quand nous étions enfants, mes amis disaient souvent « Quand je serai majeur je ferai des piercings, des tatouages ou je laisserai pousser mes cheveux. »

Moi je disais « Quand je serai majeur, je changerai Christi en Christian. »

C’était ça l’objectif ultime.

 

Ecrire pour me libérer

J’ai compris avec le temps que ne pas parler de ses sujets ne les rendaient pas irréels ou inoffensifs pour autant. J’ai vite compris qu’au contraire ils me rendaient prisonnier. Et je ne voulais pas que deux détails du genre aient autant de pouvoir sur moi.

J’ai longtemps cherché une sorte de thérapie et j’ai même vu un psy, mais rien ne fonctionnait… jusqu’à ce que j’aie décidé d’écrire là-dessus.

Rédiger ces deux billets, Si seulement je pouvais lui manquer et Je m’appelle Christi et toi ?, n’a pas été un simple exercice d’écriture, mais plutôt une thérapie (je me suis ouvert et j’ai laissé voir mes faiblesses et mes craintes de toujours) et publier ces lignes a eu un effet libérateur pour moi.

Une fois publiées, ces histoires ne m’appartenaient plus et le fait de les partager m’a soulagé de leur charge comme si mes lecteurs m’aidaient à porter ce poids qui du coup est devenu plus léger.

S’ouvrir aux autres n’a jamais été un exercice facile mais cela aide au point qu’aujourd’hui je peux le dire sans aucun doute : « L’écriture m’a sauvé. »

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